jeudi 16 mai 2013

Vertige




Nights in white satin, never reaching the end,
Letters I've written, never meaning to send.
Moody blues




Je croyais qu’il n’y aurait plus que des faux-semblants, épris de ma liberté retrouvée, pétri de mes certitudes inébranlables, foulant indifférent le sol jonché de mes débris épars, insouciant des possibles inaccessibles.
Je savais que plus jamais on ne toucherait mon cœur, protégé dans sa gangue de pierre, bardé de ses cicatrices chéloïdes qui petit à petit en ont fait un tissu insensible, dont l’innervation à jamais n’offrirait plus qu’une douleur fantôme.
Loup je m’étais fait pour affronter serein les rencontres fortuites, les belles âmes enrubannées et les sourires enjôleurs.
Voyou, voleur, hâbleur, roublard en toute chose, étreignant impassible des corps offerts à mes caresses.
Désireux de réduire le souffle qui soulève ma poitrine à l’oxygénation de mes muscles qui portent les coups de butoir lors des ébats boulimiques que je m’octroierais à l’envie.
Les parfums, les couleurs, les lumières et les rires, pour moi seul, pas de partage, pas d’euphories à deux, plus de complicité prometteuse, plus d’émois indécents, plus d’exposition aux pitoyables élans d’un cœur vers cet autre toujours autre que ce que l’on a cru. Plus de frisson. Plus de dédain non plus, juste l’indifférence.

Pourquoi ai-je baissé la garde ? Comment t’es-tu glissée jusqu’au dernier neurone encore sensible, le seul où subsistait l’influx saltatoire suffisant pour atteindre le potentiel d’action qui ferait repartir l’organe vital en mort clinique avérée ?
Où est passé ce goût amer qui m’éloignait de ces nourritures absurdes finissant toujours en haut-le-cœur à faire vomir tous ces je t’aime ? Des je t’aime mensonges qui révulsent lorsque l’on a sous les yeux les preuves de la forfaiture.

Pourtant, de ces débris de mots souillés, de ces pathétiques entrelacs blanchâtres, de ces nuits sans sommeil à me maudire de ma crédulité, le souvenir déjà s’efface.

Les parfums, les clameurs, les souffles et les lumières frémissent sur ma peau, et ces frissons à nouveau exhalent l’impossible outrance des sentiments qui s’éveillent.

Tes bas de soie ne sont pourtant pas différents des autres, tes lèvres prometteuses ne me promettent rien. Tes cheveux que j’empoigne lorsque je te chevauche n’égalent pas les crinières rousses des juments que j’ai déjà sélectionnées pour assouvir les désirs que mon corps m’impose.

Mais nos corps-à-corps effrénés ont remplacé ces corps-à-corps ridicules. Nos effluves musquées ont remplacé l’odeur fétide des cadavres de fausse passion. La suédine de la robe légère que tu portes effleure ma peau et me fait fondre.
Les formules éculées des imbéciles heureux hébétés et béats s’imposent à mon esprit. Les mots ne forment que fadaises ou maladresses confinant au burlesque dont mon peu de lucidité n’arrive même plus à s’affliger.
Me voici à nouveau à rêver d’une tanière où je pourrais te ravir, t’emprisonner, te prendre, offrir mon sexe turgescent à ta langue gourmande et me soumettre à tes mains sans peur de succomber à tes caresses voluptueuses.
Ta peau contre la mienne fait un courant, exaltant le moindre de mes pores.
Ta chatte m’hypnotise, m’envoute, m’ensorcelle.
Ton cul de pleine lune annihile mes craintes, tes mots déposent un baume sur les maux qui me rongent.
Ce fatras de mots tant entendus est-il mien ? Dans un dernier instant de clairvoyance l’hémisphère gauche de mon cerveau, analytique et froid, crie encore à l’ineptie. Hélas mon corps calleux renonce, rompant peu à peu tout influx entre logique et émotion en une dichotomie bêtifiante.
Qui puis-je ? Mes soubresauts, mes ruades sont vaines, ma carapace se lézarde et tu t’insinues toute entière.
Des arômes puissants enivrent mon esprit en proie à ces luttes inutiles dont je ressors déjà irrémédiablement vaincu.
Les barrières érigées, déposées en couches successives tourbillonnent en fragments autour de nos chairs qui se tressent dans l’œil du cyclone qui m’emporte.
Il ne me reste plus qu’à cesser toute résistance et m’abandonner.
Désormais j’y aspire, je l’accepte, je le veux. Je ne suis plus que ce vertige.

Je vis.

Chantal Baldacci