dimanche 30 juin 2013

Fermeture estivale

Praxis Negra est en sommeil pour l'été. L'occasion de recharger les batteries et de vous proposer de nouveaux textes pour la rentrée de septembre. Bonne vacances à tous !

jeudi 20 juin 2013

L’immigrant

Jo Antonetti et ses rêves d'évasion. Enfin traduit par Biancarelli. Il en aura fallu du temps, mais le temps c'est de l'argent, disait le traducteur vénal. Donc Jo Antonetti qui nous parle de frontières, de fafs et de désespérance. Dans l'air de ces temps sombres.

Ça y est, j’y suis. Finalement j’ai réussi à franchir cette frontière, et cette fois c’est la bonne, je ne reviendrai pas chez moi. Je suis en paix aujourd’hui.

La première fois je m’étais fait rattraper par la « border patrol », on m’avait enfermé pendant des mois dans un camp pour immigrés, puis on nous avait renvoyés au Mexique.

La seconde fois j’étais passé sans difficultés, si l’on peut dire, j’avais travaillé comme journalier dans une exploitation agricole au Texas, j’y étais traité assez bien, et surtout on me payait quatre fois plus que dans mon trou perdu de Las Vacas. Et puis un jour, ils ont débarqué, armés, vêtus de tenues militaires, une dizaine de pick-up à toute berzingue, et j’ai vu la peur dans le regard de mes compatriotes, ils se sont mis à fuir, et eux qui nous tiraient dessus, nous qui nous enfuyions, au milieu de ceux qui tombaient, blessés ou morts. J’ai réussi à y échapper, on était deux, à courir comme des damnés, ou bien protégés des Dieux, peut-être ne nous avaient-ils simplement pas repérés, enfin on avait sauvé nos peaux.

— C’était qui ceux-là ? Pas la border patrol ?
— Comment tu sais ça ?
— Ils m’ont choppé déjà, et ils nous avaient pas tiré dessus.

Diego ne me répondit pas. Comment pouvait-il bien savoir qui étaient ces types, il avait pas vingt ans, et il s’était barré de son bled parce qu’il y crevait la dalle.
On marchait vers le sud, pour rentrer chez nous, retourner à la misère, retrouver la faim. Le premier soir, on a trouvé une baraque un peu à l’écart, Diego voulait pas y aller, il disait qu’on allait se faire allumer, moi je mourais de faim, je lui ai dit de m’attendre, je demanderais quelque chose à grignoter, et si ça se passait mal il n’aurait qu’à s’enfuir.

Il n’y avait qu’une femme dans cette maison, seule, elle nous logea, nous fit manger et nous expliqua qui étaient nos amis. C’était les Minute Men, une milice de citoyens américains qui voulaient lutter contre l’immigration, au début ils se contentaient de faire de la surveillance, et quand ils en prenaient un d’entre nous ils le transmettaient à la police, mais leur racisme latent les avait submergés. Déçus du peu de résultats des flics, ils étaient entrés dans une guerre folle et fanatique.

Alors on est retournés au Mexique. Une nouvelle fois. La dernière.

La troisième fois j’étais pas seul, Luis et Miguel m’accompagnaient, c’était deux amis de Las Vacas, des pères courageux qui affrontaient la frontière, la mort, pour donner à manger à leur famille. Enfin courageux… mon cul, quand on crève de faim, faut être inconscient pour prendre une femme et lui faire des gosses, inconscient et un peu malade pour aller trouver à bouffer dans un pays étranger qui ne veut pas de vous, et qui dresse un mur tout le long de la frontière, et où des simples citoyens – gavés de racisme et de sombre crétinisme – prennent les armes et vous tirent comme des lapins.

On avait franchi le Rio Bravo à la nage, et jusque là on avait échappé tant à la border patrol qu’aux miliciens. Cette fois, c’était la bonne, on avait franchi la frontière et j’étais convaincu qu’on reviendrait jamais en arrière. Personne me renverrait dans l’enfer de Las Vacas.

On marchait vers Eagle Pass quand ils nous sont tombés dessus. Ils n’ont pas tiré, ils nous ont juste menottés et hissés à bord des pick-up, mes compagnons me regardaient épouvantés.

— C’est des miliciens, ils nous emmènent à la police, on rentrera chez nous.

Un de ces enculés m’a frappé sur la tête avec son flingue.

— Parle anglais espèce de bâtard, t’es pas dans ton pays de macaques.

Ils nous ont emmenés dans un hangar paumé.
La nuit ils sont revenus, avec les tenues blanches du Ku Klux Klan, ils avaient même préparé des croix rituelles, celles qu’ils brûlaient quand ils tuaient les noirs.

— On va vous apprendre à rester chez vous, bande de bougnoules, ici on est en terre américaine.

Voilà, cette fois j’y suis. Je ne rentrerai jamais chez moi, je n’aurai jamais plus faim. Je ne souffrirai jamais plus.

Jo Antonetti

Illustration : Apaches Attacking, John Hampton, 1961


mardi 18 juin 2013

Pier Paolo Santo subito !




 Ce texte annonce la coupure estivale de la revue Praxis Negra pour ce qui est des contributions des membres du comité. Précisons, même si ce sont là des précautions bien peu pasoliniennes, que les propos tenus ici n'engagent que leur auteur. Les extraits cités sont issus des Ecrits corsaires, Flammarion, 2009.  


En cet automne soixante-quinze, sur une plage d’Ostie, un cadavre est livré aux froides rosées matinales et aux embruns. Si les meurtriers avaient eu l’énergie et le loisir d’achever leur macabre entreprise, Pasolini aurait sans doute connu le sort d’Orphée et de Dionysos : le démembrement. Pasolini aurait été mis en pièces, non pas par les Bacchantes du monde païen, mais par de miséreux ragazzi di vita, par de jeunes prostitués et petits trafiquants fascistes, déliquescences du monde ouvrier et paysan. Par anticipation, Santo Pier Paolo, véritable saint et martyr, leur a presque offert son pardon : « Mais jamais aucun d’entre-nous n’a parlé avec eux, nous les avons tout de suite acceptés comme d’inévitables représentants du Mal, tandis qu’ils n’étaient sans doute que des adolescents et adolescentes de dix-huit ans qui ne connaissaient rien à rien, et qui se sont jetés la tête la première dans l’horrible aventure du fascisme par simple désespoir. (...) Le starets Zossime (littérature pour littérature ! ) a tout de suite su distinguer, parmi ceux qui s’étaient rassemblés dans sa cellule, Dimitri Karamazov, le parricide. Alors il s’est levé de sa chaise et est allé se prosterner devant lui ; parce que Dimitri était destiné à faire la chose la plus horrible et à éprouver la douleur la plus inhumaine qui soit. Pensez (si vous en avez la force) au garçon ou aux garçons qui sont allés déposer les bombes sur la place de Brescia. Ne fallait-il pas se lever et aller se prosterner devant eux ? ». Il leur a presque offert son pardon, presque car, s’il l’avait voulu ­— et sans doute le voulait-il — il n’aurait pu reconnaître les jeunes fascistes parmi les autres ragazzi, « non pas les autres extrémistes mais tous les autres ». Le fascisme de ces jeunes à cheveux longs, aspirant aux mêmes choses que n’importe quel gosse de ce milieu des années soixante-dix en Italie, consommer, s’offrir une Ferrari ou une Porsche, une belle fille à leur côté comme ornement, du respect craintif de la part des autres... Ils ne sont qu’une réponse à la disparition de la vertu des paysans, celle des différences sociales, des « expressivités » ; Pasolini ne craint pas de parler de « mutation anthropologique » dans l’Italie de l’après-guerre et rejoint Alexis de Tocqueville, l’aristocrate étiqueté libéral, dans une dénonciation de l’indifférentisme, du nivellement et de la massification mortifère : « Le changement réside en ceci que la vieille culture de classe (avec ses divisions nettes : culture de la classe dominée, ou populaire, culture de la classe dominante, ou bourgeoise, culture des élites) a été remplacée par une nouvelle culture interclassiste, et qui s’exprime dans le mode de vie des Italiens, à travers la nouvelle qualité de leur vie ». Cette culture interclassiste est la bâtardise — et il faut entendre bâtardise au sens plein ! — de nos sociétés méditerranéennes de ce début de vingt-et-unième siècle, le fascisme dont nous parle Pasolini n’a que peu à voir avec celui que lui-même a connu, il est une réponse à la mort de cet âge paysan, qui s’est incarnée en d’autres lieux dans autre chose, mais sans doute mue par une haine de soi effrayante, du souvenir de ces casetti dans lesquelles on dormait à dix, de cette tension domestique, de cette pauvreté sans misère, de ces femmes couvertes d’épais vêtements sombres et qui, à vingt-cinq ans, en paraissaient cinquante. Beaucoup de temps passera avant que nous puissions nous féliciter d’une véritable paix des cimetières — au sein desquels reposeront autant de cadavres d’hommes que de cadavres de cultures — où la bâtardise culturelle qui est la nôtre, la réponse à la fin de la vertu des paysans, se transforme en indifférentisme post-moderne, où chacun ressemblera à chacun dans une certaine quiétude consumériste. Les réponses aux mutations de notre société insulaire nous les voyons aujourd’hui mais elles se déploient, tel un processus qui se rend de plus en plus évident à nos yeux, depuis une trentaine d’années. Certes on dira que la violence a toujours existé en Corse, qu’elle est comme inscrite dans les structures sociales, etc. C’est une erreur de penser qu’elle fut du même ordre que ce à quoi nous assistons en ce moment, la violence actuelle est née de la haine de soi, de la haine de la pauvreté qui fut celle des paysans. Certaines balles auraient pu prendre le trajet diamétralement inverse, et toucher ainsi le tireur lui-même, le sens de l’acte aurait été identique. Il y a une haine inconsciente de ce que nous avons été, et de ce que nous sommes parfois encore, dans nombre de ces gestes criminels. 
Je pense au cadavre de Pasolini et à sa gueule sévère de Frioulan ; cette jeunesse-là de soixante-quinze — si semblable à la nôtre — n’a finalement pas réussi à disloquer son corps. Mais qu’ils sachent tous, ceux de soixante-quinze de l’autre côté du Tirreno et ceux d’aujourd’hui ici, que Santo Pier Paolo leur a déjà pardonné.  

Jean-François Rosecchi

Illustration : Giotto, Saint François chassant les démons de la ville d'Arezzo (détails), Basilique supérieure saint François, Assise (XIIème siècle). 

vendredi 14 juin 2013

Cutulelle (traduction)









Une traduction de Bernadette Micheli.









Galets de l’onde limpide de l’Ercu
par les siècles polis
et les millénaires emportés
en ciels obscurs ou apaisés
se fondent des couleurs étranges
effleurant le miroir diaphane
de l’esprit.

A Sesta gisent voix
bêlements et sonnailles
clos dans l’ombre muette
du souvenir
Le temps s’enfuit entre les rives
entrelacs d’écume mouvante
flots d’images.

Les âpres éboulis pleurent
cicatrices caniculaires
de peaux sèches et tannées
meurtrissures d’os et de chairs
et les ondes troublées de misère
sont autant de larmes éplorées
dans les cascades mugissantes
périssent les mémoires perdues
que le tumulte emporte
râle dolent des ans
au cœur déchiré.

Galets de l’onde limpide de l’Ercu
par les siècles polis
et les millénaires emportés
d’Alzimozzu à Santa Lucia
tant de veines et d’espoirs déferlent
affluents d’un sang nouveau
quand je ne serai plus que poussière
vous étreindrez mon âme
et nous ferons signe à l’avenir
fleuve libre.

Olivier Ancey

Traduction (et photographie !) : Bernadette Micheli



mardi 11 juin 2013

Cutulelle




Una puesia di Olivier Ancey. A musica di l'onda. 

Ultima Cumaei venit iam carminis aetas, magnus ab integro saeculorum nascitur ordo.

Virgile, Eclogue IV (Les bucoliques)



Cutulelle di l’onde tralucente di l’Ercu
da seculi  attundulite
da millesimi  vultulate
in celi foschi o svariate
si mischianu  culori arcani 
sfrisgendu u limpidu spechju
à  fior di mente.

In Sesta ghjacenu e voce
i imbeli è u  stintindulime
accumpulati in l’ombra muta
di u ricordu
sò corse l’ore trà e sponde
à cullane di sciume mosse
à spulafiure.

Piegnenu l’aspricce ghjarghjere
cum’è vinice incalmanate
di pelle more imbrustulite
d’osse è di carne straziate
è di miseria inturbidite
l’onde sò lacrime dulente
in lu sussuru di e spisce
s’annecanu e mimorie perse
è in un sbollaru  s’affonda
u lagnu pietosu di l’anni
à  strappacore.

Cutulelle di l’onde tralucente di l’Ercu
da seculi  attundulite
da millesimi  vultulate
d’Alzimozzu à Santa Lucia
sò tante  vene à porghje brame
aghjugnenti di sangue novu
quandu ùn saraghju cà fulena
l’anima meia abbracciarete
è faremu cennu à l’avvene
à fiume scioltu.

Olivier Ancey


jeudi 6 juin 2013

System of a down



Nous vous conseillons de joindre le son à votre lecture. Un texte  ténébreux de Dominique Giudicelli. 

Par prudence, elle a quitté le chemin qui monte tout droit vers l’alpage.
Tout à l’heure, le staccato d’un hélicoptère l’a jetée sous un arbre, collée au tronc comme une excroissance jusqu’à ce que le bruit des pales ait fondu à l’horizon.
Such a lonely day…
Ça fait deux jours, on a dû commencer à s’inquiéter.
Elle a quitté le chemin et s’engage sur un raidillon qui longe le ravin, au-dessus de la rivière dont le souffle froid monte jusqu’à elle.
… And it’s mine
Le sentier est envahi de pousses d’arbres et de ronces, mais il serpente sous un treillis de branches ; elle y est à couvert. On ne l’apercevra pas avant qu’elle débouche sur le plateau, et elle attendra la fin du jour pour ça.
En été, le chemin est d’une fraîcheur accueillante, mais en cette saison, il baigne dans une pénombre humide et froide. La terre grasse lui colle aux semelles. Elle avance aussi vite que le permet le terrain glissant. Le sous-bois a des lueurs glauques de forêt vierge.
Parfois, un arbre effondré pointe du faîte vers la rivière qu’on aperçoit en bas, bouillonnante. Alors elle s’arrête, souffle un peu et contemple, exaltée, la vallée encaissée. Au fond du gouffre, les flots grondent et ajoutent leurs basses organiques à la chanson qui l’entête.
Such a lonely day
And it’s mine
The most loneliest day of my life….

L’idée la traverse d’un coup que sa place est ici. Plus que n’importe où dans le monde. Dans ces lieux solitaires, même sur ce versant inhospitalier, elle pourrait vivre pour l’éternité …
Un petit coup de pied au ventre la pousse à reprendre sa marche.
Aimera-t-il leur vie ? Il n’aura qu’elle et elle n’aura que lui.
La pente se fait plus raide, elle patine ; dérape, se rattrape aux branches d’un buisson. Assure ses enjambées sur les pierres saillantes, se hisse à l’aide des branchages. L’été, elle sauterait comme une chèvre, d’une pierre à l’autre ; mais aujourd’hui, ses Docs boueuses l’alourdissent et rendent son pas incertain.
…And if you go
I wanna go with you
And if you die…
Son cœur bat plus vite. … Si elle tombait là, personne ne la trouverait sur ce sentier perdu ; au printemps, un berger à la recherche d’une brebis égarée buterait sur son cadavre…. Est-ce qu’il mourrait en même temps qu’elle ou après ? L’idée de le savoir seul, dans un corps pourrissant, lui serre la gorge… Such a lonely day. La boue a laissé place à la caillasse, une sorte de col derrière lequel le chemin redescend. And it’s mine. Pour garder l’équilibre, elle grimpe à quatre pattes. Même à cet instant, à genoux sur les pierres, elle ne regrette rien. Les images la parcourent comme des mains chaudes. La chair tendre se tendait, brûlante, la cherchait. Une douceur de crème. Dans l’ombre de la sacristie, elle avait tremblé de sentir son ventre tressaillir, son sexe couler. Elle avait tremblé sans résister à l’onde de désir qui déferlait, à cette vie sauvage qui l’arrachait à l’inexistence. Sous la chasuble blanche comme une hostie, des odeurs de mâle et d’encens…
Jamais on ne le lui prendra.
Elle est tout ce qu’on veut  mais pas une chienne.
Ils connaîtront des nuits glaciales et des jours sans pain, mais ils seront deux. Un jour, lorsqu’il sera plus grand, ils quitteront la montagne. Dans un village où l’on ne la connaît pas, ils s’installeront. Il sera son petit homme, il veillera sur elle.
Au sommet du tertre, elle se redresse pour reprendre haleine. De là-haut, le monde est immense : on aperçoit le cours de la rivière, et la cascade d’où elle se jette dans son lit tout fumant, avant d’enfler entre les rives étroites et rouler de rocher en rocher, gagnée peu à peu par l’ivresse d’une course qui ne ralentira qu’en plaine pour finir dans les eaux croupies d’un marais.
… And if you die
I wanna die with you
Take your hand and walk away...

D’un ample battement d’aile, une buse vient de se poser de l’autre côté du ravin. L’oiseau la fixe d’un œil noir qui ne cille pas. Embarrassée, sous ce regard, elle se remet vite en route, plantant prudemment ses talons dans le tapis de cailloux qui se déroule sur tout un pan éboulé de la montagne. Le flanc est fendu comme une blessure, d’où pendent à nu des racines arrachées. Elle progresse lentement, les pierres coulent comme du sable. Un instant son pied ripe, elle se tasse instinctivement contre le flanc de la montagne, le cœur battant, elle avance pas à pas en s’appuyant à la pente. Cette portion de chemin est heureusement à découvert, éclairée par le froid soleil de novembre. Such a lonely day
Un piaulement. Glaçant.
Le rapace a pris son envol  et traverse la gorge étroite d’un coup d’aile. Elle sent dans ses cheveux le vent de son vol, lance ses bras pour chasser l’oiseau, trébuche, dérape, glisse sur un torrent de cailloux qui se précipitent vertigineusement vers le vide. Elle roule sur le ventre, lutte contre la force qui l’entraîne, s’agrippe de tous ses ongles…. The most loneliest day of my life… Au-dessus d’elle plane la buse. Les pierres courent, rebondissent sur son front, son dos, ses jambes, la charrient au bord du précipice, dans un crépitement affolé qui se mêle au grondement du fleuve.

Elle a cessé de se débattre : le gouffre s’ouvre sous elle et l’aspire d’une succion mouillée ; l’eau blanche sera son linceul, les marécages, son tombeau. Dans les secondes qui lui restent à vivre, l’extase de la chute lui arrache l’âme et les entrailles… Elle hurle. Des anges aux yeux blancs accourent et tourbillonnent dans la poussière d’eau. Elle hurle et dans un claquement de chair battue, s’abat dans le lit houleux du fleuve. Son flanc s’ouvre sur le tranchant des flots et expulse son fruit, roulé, brassé par le courant rougi, son corps vide dévale vers la mer, flottant, cognant, tournoyant et entraînant derrière lui l’enfant au bout de son cordon.

Dominique Giudicelli

Illustration : Albrecht Dürer