Xavier Casanova récidive pour Praxis Negra dans les foudres et éclaboussures du polèmos.
La guerre a pris fin de la plus
belle manière qui soit : l’ennemi, écrasé, avait perdu sa superbe, plus de
cent mille soldats et autant de chevaux, selles et trait confondus. En ville,
l’armée paradait, ou plutôt ses troupes fraiches. Le renouveau est bien plus
patent avec de jeunes recrues menés par de nobles officiers, plutôt qu’avec des
gaillards couturés de cicatrices, amaigris par les privations, burinés par les
intempéries, noircis par la poudre, conduits par des officiers sans noblesse,
des bougres à qui on avait donné des galons dans la bataille, sans oser les
leurs retirer après, s’ils survivaient, car c’étaient généralement de grandes
gueules irascibles, capables d’entrainer leurs hommes n’importe où, même dans
l’indiscipline, ce qui, vous en conviendrez, est bien moins ardu que de les
convier jour après jour à côtoyer la mort. Dans les parades, il eût été
inconvenant qu’ils marchassent en tête. La plupart étaient aussi courtauds que
le gros des bataillons. Certains, même, avaient des jambes moins développées
que le fourreau de leur sabre, ce qui nuit singulièrement à l’élégance
militaire, autant pour défiler que pour valser : les deux occupations
primordiales d’une armée victorieuse. Certains échappaient, certes, au tableau.
Mais qu’importe puisque tous avaient pris des commandements aux frontières,
dans des fortins dressés en plein vent, sur les crêtes et les rivages. Très
officiellement, en place publique, on disait alors avoir confié la garde des
dernières menaces aux soldats les mieux aguerris. En douce, en quelques salons
et cabinets, on se réjouissait d’autant plus qu’ils fussent tous ainsi éloignés
des places d’armes que la guerre avait été davantage funeste aux élégants
qu’aux rustres. Outre les balles et les baïonnettes, les premiers mourraient de
fluxions quand les seconds savaient se chauffer de peu, au besoin en se
frottant les mains, geste qui leur sera plus tard reproché. Nigidus Figulus,
dans son traîté De hominum naturalibus, de la nature des hommes, avait déjà noté
que des mains calleuses, frottées l’une contre l’autre, procuraient davantage
de chaleur que des mains parfaitement lisses. À ses dires, les éphèbes aux
doigts gourds pouvaient aisément devancer la nature en enduisant leurs mains de
limons sablonneux qui, en séchant, leur tiendrait lieu de cal pour le cas où
ils devraient se chauffer in modum
rusticus, à la façon des rustiques. Faute d’une telle instruction, les
nobles officiers trépassaient ainsi en gants blancs, versant leur sang, ou
plutôt le crachotant, dans des carrés de mousseline immaculés brodés à leurs
armes. Avec la victoire, le temps des récompenses. De très honorables pensions
furent allouées à leurs survivants et à leurs successeurs. Quant aux officiers
de circonstance il fut considéré : 1° que sans la guerre ils ne se fussent
jamais aux autres mélangés ; 2° que toute guerre étant réputée avoir été
provoquée par le vaincu, c’est à ce dernier qu’incombe la réparation de ses
multiples dommages. Aux vaincus, donc, de pourvoir à leurs pensions. On pensait
surtout qu’il était de bonne politique de conserver intacte la complaisance des
officiers qui complaisent, et de diriger contre l’ennemi d’hier les aigreurs
des autres. C’était, en outre, forcer les garnisons des confins à garder les
yeux fixés hors du royaume, plutôt que de tourner leurs lunettes d’observation vers
la capitale, pour guetter l’arrivée de la solde, des salades et des potins. Or,
cette précaution s’avéra inutile tant il y eut de filles de mauvaise vie à
dresser leurs huttes, tente et cabanes devant les fortifications, dont on
assécha les douves pour l’agrément du commerce. Candidus Flaccus, dans son
traité Expositio des passione homini,
exposition des passions humaines, est le premier moraliste à avoir souligné,
tirant leçon des invasions barbares, combien l’être humain est prompt à faire,
lorsque les circonstances l’imposent, de nécessité vertu ; et lorsque l’infortune
est absolue, de grande nécessité petite vertu.
Ce qui s’était écrit du temps des Pippinides n’a pas plus été contredit
par les mœurs carolingiennes que les suivantes, jusqu’à nos jours. Ami lecteur,
pardonne-moi d’avoir tant tardé à te dresser le portrait du personnage que je
te convie à connaître, et t’invite à aimer ou détester, au gré de tes humeurs
et jugements. Reconnais, cependant, l’utilité des préliminaires, voire leur
nécessité. Tu sais, désormais que notre héros ne va pas sortir comme un lapin
blanc du gousset d’un magicien. Ou se présenter à toi comme un colporteur
s’octroyant le droit de frapper à ta porte, au nom de quelques émerveillements prodigieux
suscités à l’occasion par l’étalage de ses camelotes et pacotilles ; éblouissements
qu’il espère bien renouveler sur le champ, ici et tout de suite, en quémandant
ton regard. Un coup d’œil !
Simplement un coup d’œil ! Ami lecteur, je ne quémande rien. Rien du
tout, car je sais que c’est toi, désormais, qui me supplie de t’en dire
davantage. Un nom ! Seulement un
nom !
Xavier Casanova
Image : Jules Girardet (1856-1938). La Déroute de Cholet.
Musée d’Art et d’Histoire de Cholet. (Détail)
Musée d’Art et d’Histoire de Cholet. (Détail)