«
Ne craignons pas de dire la vérité » (Ovide).
Ça n’est pas à proprement parler de littérature dont il
sera question ici. Mais ça a tout de même à voir avec la pensée, et puis aussi
avec la dignité des Hommes, et l’indignité des instances qui prétendent les
représenter. Nous sommes le 5 mai, en 2013, un jour qui ne doit pas être comme
les autres, et Didier Rey nous le rappelle avec justesse. Quand d’autres –
en ce même jour – se courbent devant le veau d’or et ses scandales.
«
Il n’est pas question de faire du 5 mai une journée sans football en France […].
Dans aucun pays d’Europe qui a vécu des catastrophes similaires, le football
n’a été supprimé. Il y a des commémorations. C’est ce que nous allons faire sur
l’ensemble des matches. Une journée sans football est une mauvaise réponse à un
véritable drame. Cette position a été arrêtée au plus haut niveau de la
Fédération, et nous n’en bougerons pas. »
Cette
déclaration du président de la Ligue de football professionnel (LFP) au soir de
la finale de la Coupe de la Ligue, n’est en rien surprenante ; elle
confirme, si besoin était, le caractère mineur, bien que tragique, de la catastrophe
de Furiani pour les instances nationales du football. Elle démontre également
la volonté clairement affirmée de considérer cette tragédie comme une simple
péripétie corso-corse, une de plus serait-on tenté d’ajouter. Enfin, elle en
appelle à des comparaisons européennes qui n’ont pas grand sens compte-tenu des
mécanismes qui engendrèrent l’effondrement de la tribune nord du stade de
Furiani.
En
effet, ce qui fait la spécificité de cette sinistre journée du printemps 1992
tient dans l’enchevêtrement des responsabilités, pénales et/ou morales, des
autorités politiques, administratives et sportives, tant locales que nationales.
Les implications morales n’étant pas les moindres, bien que n’ayant souvent aucune
conséquence judiciaire. Si les instances sportives insulaires fautèrent gravement
et, en tout premier lieu, les dirigeants du SCB qui demeurent bien les
responsables principaux du drame, il en alla de même, à un degré différent, de
la FFF, organisatrice de l’épreuve. Administrativement et politiquement, les
légèretés des uns et des autres, du côté municipal et préfectoral entre autres,
permirent que le funeste mécanisme ne puisse être enrayé. Or, c’est bien à
cause de cette somme d’inconséquences que la tragédie devint possible. C’est en
cela que le 5 mai est une catastrophe nationale. Cette conjonction de
responsabilités d’origines diverses ne se rencontre dans aucune des
catastrophes survenues dans des stades européens à ce jour. Deux exemples
suffiront à illustrer notre propos : Le 29 mai 1985, à Bruxelles, lors du
drame du stade du Heysel, la responsabilité des autorités politiques et
administratives britanniques et italiennes n’est en rien engagée, et pour
cause. Le 15 avril 1989, à Sheffield, dans le stade de Hillsborough, c’est
avant tout le dysfonctionnement des services de police sur place qui est en
cause – comme l’a très clairement démontré le rapport de la Commission
indépendante rendu public le 12 septembre 2012 –, ainsi que l’aspect vétuste
des installations caractéristique de l’Angleterre du temps ; non la
conjonction de responsabilités en amont. Par conséquent, la comparaison entre
les différentes catastrophes est biaisée. Quant à l’aspect morbide, bien que
toujours émotionnellement difficile à évoquer, il ne peut être laissé de côté.
En effet, le nombre de personnes blessées ou décédées lors de l’effondrement de
la tribune nord équivaut à 1 % de la population corse de l’époque.
Proportionnellement, aucun des drames précédents n’a fait autant de victimes.
Ce caractère exceptionnel en fait également une catastrophe d’ampleur
nationale.
Or,
c’est bien cet aspect des choses que, en aucune manière, la LFP, la FFF pas
plus que l’Assemblée nationale du reste, ne veulent aujourd’hui assumer (pour
ce qui relève des aspects strictement insulaires, notons en passant que la
Ligue Corse et le SCB firent amende honorable et sont désormais engagés aux
côtés du Collectif des familles). Plus généralement, ce refus des instances sportives
renvoie aux relations conflictuelles entretenues entre ces dernières et les
clubs corses depuis au moins un demi-siècle ; elles-mêmes parties prenantes de la
« Question corse[1] ».
On comprend alors pourquoi le drame de Furiani doit demeurer une affaire
corso-corse. Il apparaît donc évident que les propositions formulées par le
Comité des familles lors des réunions de la Commission mise en place par la FFF
n’avaient aucune chance d’être retenues ; réunions au demeurant parfois
marquées du sceau de la condescendance, pour ne pas dire plus. Pourtant, par
leur aspect éducatif tout autant que mémoriel, ces propositions auraient pu
permettre de donner du sens dans la durée à la sanctuarisation du 5 mai. Certaines
des contre-propositions de la LNF avaient déjà démontré leur
inefficacité ; ainsi en était-il de la minute de silence observée avant
chaque rencontre se déroulant le jour fatidique qui, en 2002, donna lieu dans
la plupart de stades de France, à une bordée de sifflets. Au deuil s’ajouta
l’humiliation.
Enfin,
on ne saurait faire fi des mutations financières qui affectent à l’heure
actuelle le football français ; rappelons que d’autres mutations du même
type eurent leur part de responsabilité dans la catastrophe. Le spectacle
sportif, partie prenante du capitalisme financier mondialisé, se doit d’être
plus que jamais médiatiquement attractif et d’offrir à tout un chacun sa part
de rêve ; il en va de la pérennité du mythe sportif. Dès lors, les
instances nationales ne sauraient encombrer le calendrier ’’festif ’’ de
considérations mémorielles qui transformèrent le ’’rêve’’ en cauchemar.
Didier
Rey
Illustration : Caravaggio, La Capture du Christ, 1602, National Gallery of Ireland, Dublin.
Illustration : Caravaggio, La Capture du Christ, 1602, National Gallery of Ireland, Dublin.